Un pas, puis l’autre. Le goudron défilait sous mes pieds, tandis que j’avançais lentement, me dirigeant je-ne-sais-où. Que faire ? Je ne savais pas trop. Ma mission, du moins celle donnée par Père, était claire : servir d’intermédiaire entre lui et Grand Frère. Mais on ne pouvait pas dire que j’étais particulièrement demandé en tant que tel. Non. Le temps libre ne manquait pas. L’ennui non plus. Méphisto m’avait conseillé quelques activités. Entre autre, visiter l’Assiah - enfin, la revisiter sous un nouvel angle, sans violence ni génocides inexplicables – et observer les différentes cultures et coutumes de ses peuplades. Pa-ssio-nnant. Bien évidemment, il m’a recommandé un pays en particulier. Je n’ai très certainement pas besoin de vous faire un dessin pour que vous compreniez du quel je parle. Je ne voyais pas trop ce que cette étude pouvait m’apporter. De la culture générale ? Qu’est-ce que j’en ferais, de ça ? Que dalle, nous sommes d’accord. Une nouvelle vision des humains ? Ils n’ont pas tant changé que ça : toujours aussi stupides, égoïstes, influençable et destructeurs. Pour peu qu’on leur en laisse le temps, ils se détruiraient les uns les autres. A quoi bon, dans ce cas, les harceler ? Nous récupérerions Assiah sans subir la moindre perte. Pourtant, les démons s’obstinent encore et toujours à accélérer le phénomène… Sommes-nous particulièrement pressés de récupérer ce monde ? Oui, cela ne fait aucun doute. Nous attendons depuis déjà bien trop longtemps. Par pur sadisme ? Par ennui ? Ou encore, pour profiter de ces jouets éphémères ? Voilà d’autres réponses acceptables. Quelle est la vérité ? Je n’ai aucune envie de vous le dire. Servez-vous de votre imagination, et contentez-vous en.

Devant une telle motivation, que voulez-vous faire ? Plus par dépit que par envie, Grand Frère m’avait congédié de telle manière que je me retrouvais à errer de-ci de-là dans la ville de la Croix-Vraie. Je soupirais. L’Académie de la Croix-Vraie. L’un des nids d’exorcistes disséminés un peu partout sur Assiah. L’école dirigée, pour ce secteur, par Méphisto. Une étrange lubie de sa part. Bref. J’errais donc, sans mémoriser mon itinéraire. De toutes manières, je l’ai déjà dit : je ne savais pas où aller. Avancer, avancer. Toujours avancer. Bousculer sans s’excuser. Réfléchir. Beaucoup. Rin.

Ce gosse. L’objet de toutes les convoitises de Géhenne, bientôt la cible spécifique de la haine de l’humanité. Une proie, pour un côté comme pour l’autre. Un jouet éventuel. Mon supposé demi-frère. Un bâtard de plus de mon géniteur. Était-il faible, fort ? Un monstre sanguinaire ou un agneau innocent ? Un fin stratège ou un abruti fini ? Je n’en savais rien. Je ne demandais qu’à voir, comprendre pourquoi tous semblaient aussi intéressés par son être. Je ne l’avais pas encore observé personnellement. De ce fait, je ne pouvais donner d’avis précis sur son potentiel. Mais tout de même… Un hybride, plus homme que démon. Pourquoi était-il aussi intéressant ? Satan, mon Père, avait même donné un ordre de mission à plusieurs démons : « ramener son fils au bercail ». Méphisto, Satan… Et même mon Oncle Baal. Non, je ne comprenais définitivement pas.

Je relevais la tête, captant soudain, faiblement, une présence ô combien connue. Je souris légèrement, puis redevint impassible. Froid. Morne ? Bref. Coup d’œil à droite. Coup d’œil à gauche. Aucun être aux alentours ne faisait attention à moi. Sans prendre d’impulsion particulière, je sautais sur le toit le plus proche. Usant de mes sens, je cherchais précisément la localisation de cette présence. Une rapide observation, et une intense réflexion, aboutirent à une constatation : cette aura sombre, imposante, royale, venait d’un certain point. Un parc d’attraction.

Mepphyland.

J’haussais un sourcil. Qu’est-ce qu’il allait foutre là ? Je restais immobile quelques instants, puis, plutôt que me triturer l’esprit davantage pour rien, je pris une sucette, la fourrais dans ma bouche, et repartais. Quelques minutes plus tard, je l’avais rejoint. Silencieux, j’observais cet être démoniaque. Il semblait contempler le ciel d’un air songeur. Enfin, je ne le voyais pas de face, donc je ne pouvais faire que des suppositions. Bref. Il ne semblait pas m’avoir perçu. Pourtant, je ne me cachais pas… Cela me confortait donc dans ma supposition première. J’avançais davantage, arrivant à sa hauteur mais toujours derrière lui, et attendis. Je ne savais pas combien de temps s’était écoulé, mais cela m’avait semblé bien long. Au terme de cette attente, il prit enfin la parole.

- Hum... Tu comptes jouer un peu toi aussi ? Comment va ton grand-frère ? Amaimon.

- Bien, comme toujours, je suppose. Je croquais dans ma sucette, la finissant sur le coup, puis jouait d’un air absent avec le bâtonnet. J’aimerais bien jouer, mais je n’y vois pas pour le moment le moindre intérêt. Lassé par le bout de plastique, je m’en débarrassais. Père t’aurait-il demandé, à toi aussi, de récupérer Rin Okumura ? Ou bien notre chère Géhenne t’ennuyait au point que tu viennes « t’amuser » sur Assiah ?

J’observais encore Baal, mon Oncle, puis reportais mon regard aux cieux à mon tour. Si seulement il pouvait y avoir plus d’action, plus de sang, plus de tout. Mon séjour sur Assiah m’aurait paru plus plaisant. Plus amusant. Revoir mon Oncle était une bonne chose, mais tout de même. Je soupirais. Quel ennui.